Rencontre avec le réalisateur Gilles Bourdos à l’occasion de la sortie en salles du drame “Espèces menacées”.

Avec le drame Espèces menacées, aujourd’hui en salles, Gilles Bourdos (Renoir) adapte sur grand écran les nouvelles de l’écrivain américain Richard Bausch et livre un “film mosaïque” qui entrelace trois destins familiaux. Rencontre.

AlloCiné : Le thème des liens familiaux est au centre d'”Espèces menacées”…

Gilles Bourdos : Les liens familiaux, c’est ce qu’il y a de plus primitif. La famille, c’est la cellule la plus primitive de notre société. Ce que j’ai aussi voulu exprimer, c’est un point de vue complexe et contradictoire sur ça. C’est au sein des familles qu’a lieu le tragique, toujours. On le sait depuis la Bible, les Grecs, Shakespeare, jusqu’au Parrain de Coppola qui est avant tout une tragédie familiale. Mais c’est aussi au sein des familles que tous les refuges sont possibles. Je voulais donc travailler sur ce double mouvement contradictoire. Le thème central du film, c’est le risque d’éclatement des familles. La forme narrative est une forme en fragmentation, en éclatement aussi. Le choix esthétique, le choix de la construction narrative répondaient à une nécessité thématique.

Tout au long du film, on ressent une grande fragilité, avec toujours cette impression que tout peut basculer d’un moment à l’autre…

Oui, et même dans le ton. C’était aussi le plaisir que j’ai eu à faire ce film, le fait qu’il y avait des tonalités très différentes. Evidemment, il y a une tonalité de violence extrêmement dure, mais il y aussi une tonalité du rire. On passe sans crier gare d’un ton de comédie à une situation extrêmement dure. Parce qu’entre le tragique et le comique, entre la nécessité d’amour et la violence, les choses sont très ténues. Et que de souffrances au nom de l’amour…

Cette fragilité, c’est elle qui fait de nous tous des “Espèces menacées” ?

Exactement. Ce sont les femmes qui sont des espèces menacées, ce sont les pères, les filles, les fils… Le film est un peu ce jeu des sept familles où l’on joue avec des cartes qui se redistribuent sans cesse autour de cette figure de la fragilité des liens familiaux. 

La construction du film est particulière. On pourrait s’attendre à un film choral classique, ce qui n’est pas du tout le cas…

Je voulais m’affranchir du lieu commun narratif où, dans certains films, on essaie de relier au départ toutes les histoires par une situation inaugurale. Moi, j’appelle Espèces menacées un film mosaïque. Un ensemble fait de fragments, et qui fait un tout à la fin. Je voulais jouer sur les dissymétries et faire confiance au spectateur. Je pense que le spectateur contemporain a une très grande habitude de ce type de récit parce que si vous regardez les réseaux sociaux, tout est fragmentaire ! Je vais regarder au même moment un post sur Facebook de quelqu’un qui va me laisser un selfie au bord de la plage et de quelqu’un qui m’envoie un document pour me mettre en garde sur quelque chose… Tout est fragmentaire. Je pense que c’est le langage contemporain. Je pense même que c’est une forme narrative qui est extrêmement contemporaine.

Près de cinq ans après “Renoir”, vous retrouvez Vincent Rottiers pour un rôle très dur…

C’était un pari. Je ressens une certaine fierté de faire ça avec Vincent Rottiers. C’est un acteur que j’adore, avec lequel j’ai une complicité singulière. J’ai été très heureux du travail fait sur le personnage de Jean Renoir jeune, un Jean avant Renoir. Je suis allé le voir pour Espèces menacées et je lui ai dit : “Bon, ça va un peu être le pari, on va faire un personnage à l’opposé. Tu as déjà joué des rôles de gens de la rue, un peu violents, mais là on va aller un peu plus loin dans l’intime et l’expressivité de ça.” J’ai énormément d’empathie pour le personnage qu’il joue, bien qu’il soit extrêmement dur. Pour moi, c’était très important de sentir qu’il avait une violence qui le débordait, une sorte de pulsion, une force qu’il n’arrivait pas à maîtriser. Je suis assez fasciné par les personnages animés par des pulsions, des violences qui sont au fond d’eux, assez mystérieuses, dont les explications nous échappent et qui les débordent.

Comment l’auteur Richard Bausch a-t-il réagi en voyant votre film ?

Quand il a su que c’était moi qui venais prendre les droits de ses nouvelles, il était absolument ravi mais totalement circonspect sur ce que je pouvais faire de tout ce matériau. Peu de temps avant d’aller à Venise, je lui ai fait une projection du film à New York, et il était absolument enthousiaste parce que soudainement, par la manière dont on a agencé les récits, il a vu quelque chose de son oeuvre qu’il ne soupçonnait pas. C’était une re-création pour lui, pas une simple adaptation.

Pour conclure, un mot sur Alexandre Desplat, qui a collaboré sur la musique du film…

J’ai eu des problèmes de production. Alexandre Desplat est mon ami, un collaborateur de longue date. Je lui ai donc demandé : “Ecoute, est-ce que tu peux pas me démerder ça ? J’ai plus de pognon, y’a plus rien. Est-ce que tu peux me caser quelque part entre deux films hollywoodiens?” On a retravaillé avec de la matière qu’on avait déjà un peu utilisé sur Renoir, on a remixé un peu tout ça ensemble. Je lui ai dit : “Viens ! Même faire deux notes de piano, si tu veux.” C’est important pour moi d’avoir une continuité de travail avec des gens. Avec Alexandre, avec mon chef’op Mark Lee Ping Bin, le monteur Yannick Kergoat, le scénariste Michel Spinosa. Pour moi, c’est comme un ensemble de jazz, j’ai besoin d’eux. Et mon plaisir de cinéaste, il est dans une sorte d’histoire que j’écris avec eux. Oui, c’est comme un ensemble de jazz, où chacun est au service d’une partition mais en amenant sa singularité propre. J’ai toujours un plaisir inoui à sentir que l’ensemble réuni crée quelque chose de plus intéressant que moi tout seul. 

Propos recueillis par Clément Cuyer à Paris, le mardi 19 septembre 2017

La bande-annonce d'”Espèces menacées” :

Espèces menacées Bande-annonce VF

 

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