C’est la belle histoire du congrès annuel de la société américaine d’hématologie, la petite Emma Whitehead âgée de 7ans est en rémission depuis 7mois grâce à un traitement innovant de thérapie génique utilisant une forme modifiée du virus du sida. Un an plus tôt, son état lié à une leucémie lymphoblastique aiguë était des plus préoccupants, les docteurs étaient à cours de solutions.
Emma Whitehead a vaincu sa leucémie grâce à une technique de thérapie génique impliquant une forme modifiée du VIH.
Un virus du sida modifié pour guérir une leucémieAtteinte de
leucémie lymphoblastique aiguë1, Emma âgée de 6 ans a connu deux rechutes après des traitements par chimiothérapie et les médecins étaient à court d’options thérapeutiques face à la prolifération anarchique de certaines cellules du sang, des lymphocytes B. Prêts à tout pour la sauver, ses parents ont demandé aux médecins de l’hôpital pour enfants de Philadelphie à tester un traitement expérimental. Jamais essayé chez un enfant ou un malade atteint de ce type de leucémie, le traitement repose en partie sur une forme modifiée du virus du SIDA pour reprogrammer le système immunitaire le rendant capable de tuer les cellules cancéreuses. Prometteur mais très éprouvant, ce traitement n’avait été testé que sur
trois adultes atteints de leucémie chronique en 20112. Une technique présentée en vidéo par le Pr. Carl Jung ci-dessous (en anglais).
Le processus repose sur une filtration du sang du patient par
aphérèse pour recueillir plus d’un milliard de lymphocytes T. Mis en contact avec un virus du sida modifié3, ces cellules “reçoivent“ une modification génétique qui va les conduire à exprimer à leur surface un récepteur particulier, véritable tête chercheuse capable de se fixer sur les cellules cancéreuses et de les tuer. Réinjectés dans le sang de la petite fille, les lymphocytes génétiquement modifiés ont commencé leur œuvre. Témoin de cette âpre bataille contre le cancer, la température de la fillette grimpe en flèche et sa tension artérielle chute. La petite est si éprouvée que ses amis et sa famille se réunissent à son chevet pour un dernier “au revoir“. Mais grâce à un traitement anti-inflammatoire ciblé4, Emma se réveille une semaine plus tard. Deux mois après le traitement, elle ne présentait plus aucun signe de cancer. Une rémission miraculeuse qui se maintient 6 mois plus tard… même s’il faut rester prudent, des cellules cancéreuses pourraient subsister. Les “super lymphocytes génétiquement modifiés“ sont toujours présents dans le sang mais en plus faible quantité.Une technique de thérapie génique prometteuse face à deux types de leucémiePrésentés dans le cadre du congrès annuel de la société américaine d’hématologie5,6, les résultats de l’équipe de l’Université de Pennsylvanie portent sur 10 patients : la petite Emma atteinte de
leucémie lymphoblastique aiguë et 9 patients âgés atteints de leucémie lymphoïde chronique active, tous en échec thérapeutique après avoir bénéficié d’au moins 5 traitements différents. L’effet de cette prise en charge a pu être évalué sur 9 d’entre eux : 4 ont connu une rémission complète (toujours observée 2 ans après le traitement chez certains), 2 ont eu une réponse partielle qui a duré 3 à 5 mois et 3 n’ont pas répondu au traitement.Il ne s’agit donc pas d’un remède miracle, mais d’une voie de recherche très prometteuse. Les auteurs pensent que cette voie pourra améliorer la prise en charge de ces maladies et, peut-être demain, réduire ou remplacer le recours à la greffe de moelle osseuse, une procédure qui nécessite une longue hospitalisation et un risque de mortalité qui peut atteindre 20 %7.Une voie de recherche face à d’autres cancers ?Néanmoins, deux principales réserves apparaissent. Premièrement, les lymphocytes génétiquement modifiés s’attaquent aussi aux lymphocytes B non cancéreux, ce qui rend les patients plus sensibles aux infections. Un effet secondaire que les chercheurs prennent en compte en traitant préventivement les patients par injections de gammaglobulines. Deuxièmement, la bataille contre le cancer entraîne une production massive de molécules liées à l’inflammation (une “tempête de cytokines“) responsables des symptômes grippaux que les chercheurs ne maitrisent que partiellement. Un tel effet secondaire avait été fatal à une
patiente atteinte d’un cancer du poumon qui avait expérimenté un traitement assez proche en 20108. Cette voie de recherche en est ainsi à ces balbutiements et beaucoup de questions restent en suspens. Néanmoins, les perspectives d’une telle prise en charge (qui pourrait concerner d’autres cancers beaucoup plus communs comme des
cancers du sein ou
de la prostate) sont très prometteuses et ont attiré l’attention de l’industrie pharmaceutique. Ces travaux ont ainsi reçu le
soutien financier du laboratoire Novartis9. David Bême 1 – La leucémie est une affection des globules sanguins. Elle représente près du tiers des cancers pédiatriques en Europe, en Amérique et en Asie. Le type prédominant est la
leucémie lymphoblastique aiguë qui affecte les cellules de la moelle osseuse produisant les
lymphocytes. C’est le cancer le plus courant chez les enfants de type caucasien. Environ 3 000 enfants aux Etats-Unis et 5 000 en Europe sont diagnostiqués chaque année. Certaines formes aiguës peuvent mettre en jeu le pronostic vital. Bien qu’elles affectent essentiellement la moelle osseuse et le sang périphérique, tous les organes ou tissus peuvent être infiltrés par les cellules anormales du sang (des lymphocytes B – ou plus rarement lymphocytes T).La prise en charge repose sur différents cycles de chimiothérapie pour enrayer la prolifération anarchique de cellules du sang. Bien qu’il n’existe pas de réel consensus de prise en charge en cas de rechute, une chimiothérapie à haute dose et/ou une greffe de moelle osseuse sont généralement proposées. Cette dernière option nécessite de trouver un donneur compatible avec le malade, dans la fratrie ou grâce aux réseaux de volontaires pour un don de moelle osseuse. Selon Orphanet, la survie de l’enfant de moins de 15 ans s’est considérablement améliorée, de moins de 10 % au début des années 60 à environ 75 % à la fin des années 90.2 – Chimeric Antigen Receptor–Modified T Cells in Chronic Lymphoid Leukemia – Carl H. June et al. – N Engl J Med 2011; 365:725-733August 25, 2011 (
abstract en ligne)3 – Le virus du sida est le meilleur vecteur pour introduire du matériel génétique dans des lymphocytes T qui sont sa cible de prédilection. Sa forme modifiée ne présente pas de risque (les patients ne deviennent pas séropositifs).4 – Selon le récit rapporté par le New York Times, des résultats sanguins ont confirmé 11 heures après l’injection un niveau excessivement élevée d’une cytokine, l’interleukine-6 ou IL-6. Le Dr June savait qu’un médicament permettait de réduire ce taux (le
tocilizumab, sa fille le prenait pour cause de polyarthrite rhumatoïde). Face à l’urgence, le médicament a été donné à la fillette, ce qui a permis de la stabiliser. Ce médicament a par la suite été utilisé pour d’autres patients traités par la même technique. Cette découverte a également été présentée lors du congrès de l’ASH – CD19-Redirected Chimeric Antigen Receptor T (CART19) Cells Induce a Cytokine Release Syndrome (CRS) and Induction of Treatable Macrophage Activation Syndrome (MAS) That Can Be Managed by the IL-6 Antagonist Tocilizumab (toc). – Blood (ASH Annual Meeting Abstracts) 2012 120: Abstract 2604 (
abstract accessible en ligne)5 – Chimeric Antigen Receptor T Cells Directed Against CD19 Induce Durable Responses and Transient Cytokine Release Syndrome in Relapsed, Refractory CLL and ALL – Blood(ASH Annual Meeting Abstracts) 2012 120: Abstract 717 (
abstract accessible en ligne)6 – Sustained Functional T Cell Persistence and B Cell Aplasia Following CD19-Targeting Adoptive T Cell Immunotherapy for Relapsed, Refractory CD19+ Malignacy – Blood(ASH Annual Meeting Abstracts) 2012 120: Abstract 756 (
abstract accessible en ligne)7 – Leukemia Patients Remain in Remission More Than Two Years After Receiving Genetically Engineered T Cell Therapy – Communiqué Penn Medicine – 9 décembre 2012 (
accessible en ligne)8 – Case Report of a Serious Adverse Event Following the Administration of T Cells Transduced With a Chimeric Antigen Receptor Recognizing ERBB2 – Rosenberg SA et al. – Molecular Therapy(2010) 18 4, 843–851. (
accessible en ligne)9 – Novartis highlights key data in patients with hematologic diseases and breast cancer with more than 140 abstracts at ASH and SABCS – Communiqué de presse de Novartis – 28 novembre 2012 (
accessible en ligne)Photo :
Facebook Emma Whitehead
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