Alors que l’ouverture de salles de consommation à moindre risque pour les toxicomanes fait toujours débat en France, huit pays ont déjà mis en place de telles structures, ce qui permet d’évaluer leur impact sanitaire. Ainsi, selon une étude publiée en avril dernier dans la revue scientifique The Lancet menée à Vancouver, implanter de telles structures pourrait permettre de réduire la mortalité par overdose dans les alentours. La France est-elle prête à expérimenter un tel dispositif ?
Une diminution de plus d’un tiers des décès
Le Lancet rappelle que plus de 65 salles de consommation à moindre risque, ou Centres d’Injection Supervisée (CIS), ont déjà été ouvertes dans le monde. Il était donc intéressant de vérifier, sur le plan scientifique, les suppositions qui ont conduit à l’ouverture de tels endroits.
Brandon Marshall et son équipe
ont donc comparé les taux de mortalité avant et après l’ouverture du premier CIS d’Amérique du nord, à Vancouver (Canada anglophone). Les registres régionaux leur ont permis de déterminer le lieu de chaque décès, ce qui leur a permis de sélectionner tous ceux survenus par overdose dans un rayon de 500 mètres autour du CIS.
Résultat, la mortalité par overdose a chuté de 35 % après l’ouverture du centre dans la zone concernée (253 morts pour 100 000 par overdose avant l’ouverture, 165 après). Certes le nombre d’overdose a également diminué dans le reste de la ville, mais de 9 % seulement (passage de 7,6 à 6,9 pour 100 000).
Les auteurs en concluent que l’ouverture de ce Centre, dans une zone apparemment fréquentée par des toxicomanes, peut donc présenter un intérêt de santé publique.
En France, il y a les “Pour“…
Les salles de shoot sont loin de faire l’unanimité en France. En juillet 2010, une expertise collective menée par l’Inserm avait pourtant préconisé leur expérimentation d
ans un rapport sur la réduction des risques des usagers de drogue, remis à la ministre de la santé de l’époque Roselyne Bachelot.
Avant d’arriver à cette conclusion, les experts de l’Inserm avaient analysé des centaines d’études et articles internationaux, qui montraient que les CIS “assurent une promotion de l’hygiène de l’injection (lavage des mains, désinfection)“. Les CIS ont également “fait leurs preuves sur la réduction de la morbidité et de la mortalité associées aux overdoses“. Ils permettent “une diminution des abcès et autres maladies liées à l’injection, une diminution des comportements à risque de transmission du VIH/VHC (partage de matériel usagé ou de matériel servant à la préparation de l’injection) chez les usagers, avec une probable influence plus large sur la communauté des usagers“.
La mairie de Paris
a également confié à l’association Elus, Santé Publique et territoires (ESPT) une mission d’évaluation sur l’intérêt de tels centres, à l’initiative de Jean-Marie Le Guen. L’ESPT, après auditons, séminaires et visites de CIS,
estime dans un rapport de synthèse que les CIS “constituent un outil d’amélioration de l’état sanitaire et social des usagers de drogue les plus désocialisés et les plus précaires qui souvent n’accèdent pas aux soins (baisse des contaminations, des infections et des overdoses, accès aux soins somatiques et psychiques et accroissement du nombre de sevrages)“.
Et les “Contre“ !
Malgré ces avis scientifiques et analytiques favorables,
l’Académie de médecine s’est prononcée en janvier dernier contre l’ouverture de tels centres, estimant que la création de ce type de salles pourrait remettre en cause “l’image répulsive“ des drogues aux yeux des gens, et notamment des jeunes. L’Académie de médecine soulignait également “qu’une démarche médicale ne peut consister à favoriser l’administration de la drogue qui a généré l’addiction“ et conseillait donc de s’en tenir à la substitution médicalisée actuelle.
Une position dans le prolongement de celle du gouvernement et du Premier ministre François Fillon,
qui jugeait en août 2010 “ni utile ni souhaitable“ une expérimentation. Etienne Apaire, l’actuel président de la Mildt (Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie)
a justifié dans le journal Le Monde ce rejet. Il affirme notamment que “rendre l’usage acceptable par la communauté, c’est faire le choix de l’abandon et de l’esclavagisme à la dépendance“, ce qui paraît au minimum exagéré (quasiment tous les usagers d’héroïne se sentent malades et souhaitent arrêter, il s’agit donc avant tout d’une démarche sanitaire et non d’un “abandon“…).
L’UMP Paris réaffirme son opposition
Mi-avril, les élus UMP de Paris, suite à la publication du Lancet évoquée ci-dessus,
ont également réaffirmé leur opposition à l’ouverture de CIS en France -“ces centres d’injection ne sont ni utiles, ni souhaitables“-, arguant notamment qu’en matière de toxicomanie “le seul objectif médical possible est le sevrage. La seule priorité pour les pouvoirs publics est de réduire la consommation de drogues et non de l’organiser“.
Une position ferme qui serait davantage audible si depuis 40 ans, malgré une des législations les plus sévères du monde, la consommation de substances addictives illégales (cannabis, cocaïne, héroïne, crack, ecstasy, etc.) n’avait pas explosé, avec son cortège de délinquance, d’infiltrations mafieuses des banlieues, de troubles sanitaires et de milliards dépensés en vain… Il faudrait donc au minimum s’interroger sur les raisons de cette absence de réduction significative et envisager une inflexion de la politique monolithique menée actuellement.
L’ouverture expérimentale d’un CIS dans une zone fréquentée par de nombreux toxicomanes, avec des objectifs clairement sanitaires, sera-t-elle à l’ordre du jour dans les prochains mois, voire après les prochaines présidentielles ?
Jean-Philippe Rivière
Sources :
– “Reduction in overdose mortality after the opening of North America’s first medically supervised safer injecting facility : a retrospective population-based study“, Marshall B et coll., The Lancet, 18 avril 2011, résumé
accessible en ligne
– “Réduction des risques chez les usagers de drogues“, Inserm, 30 juin 2010, pages 27-29,
téléchargeable en ligne
– “A propos d’un projet de création en France de «salles d’injections pour toxicomanes»“, Roger Nordmann, Académie nationale de médecine, 11 janvier 2011,
accessible en ligne
– “Salle de consommation contrôlée à moinjdres risques pour usagers de drogues : analyses et recommandations des élus locaux“,association Elus Santé Publique & Territoires, avril/septembre 2010,
téléchargeable en ligne
– “Matignon dit non aux salles de consommation de drogue“, LeMonde.fr, 11 août 2010,
accessible en ligne
– “Toxicomanie : le gouvernement hostile à la création de centres d’injection“, LeMonde.fr, 21 juillet 2010,
accessible en ligne
– “Accroître les moyens accordés à une politique efficace de réduction des risques : la seule réponse possible face aux dangers de la drogue“, Jean-François Lamour et Philippe Goujon, communiqué de presse du groupe UMP de Paris, 19 avril 2011,
accessible en ligne
Photo (illustration) : préparation à une injection d’héroïne intra-veineuse dans le mini-bus de
l’association “AIDES 93“, Saint-Denis, 2007, © CHAUVEAU NICOLAS/SIPAClick Here: st kilda saints guernsey 2019
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