Il a fait de l’imitation un art, sur scène, comme à la télé et sur les ondes. Si l’exibitionnisme n’est pas son fort, l’esquive n’est pas plus son genre. Rencontre avec un prince du music-hall.

A bientôt quarante-sept ans, dont vingt-cinq de carrière, Laurent Gerra n’est peut-être pas « swag », mais il a le sens du swing ! Roi du morphing, il se glisse, non sans grâce, dans la peau d’un Johnny Hallyday ou d’un Yves Montand, entre autres, comme il décroche, avec plus de férocité, les uppercuts verbaux. Sous les feux des projecteurs, notamment du 23 au 27 décembre au Palais des Sports de Paris, alors qu’un DVD de ses exploits scéniques (Laurent Gerra au Théâtre du Châtelet/ Universal) sort déjà ce 4 novembre, le Bressan, fils spirituel de Dean Martin et de Jerry Lewis, n’en oublie pas ses chroniques matinales sur RTL, ses rêves de cinéma et sa vie d’homme sur laquelle il laisse doucement tomber le rideau. On a mis les gants, à la loyale…

Gala : Souvent grivois dans vos textes, vous affichez, avec vos costumes sombres et vos chemises bien coupées, le souci d’une tenue correcte sur scène…

Laurent Gerra : C’est vrai. C’est une question de respect envers le public et puis, j’aime le music-hall. Dean Martin et les autres membres du Rat Pack étaient eux aussi bien habillés. Cela permet de dire des horreurs plus facilement ! (Rires) C’est aussi une façon d’endosser le métier et, d’un point de vue plus pragmatique, de protéger ma voix, mon outil de travail. Mais même lorsque je vais au théâtre, je fais cet effort, je me sens bien comme ça.

Gala : Qu’est-ce que la vulgarité, dont on vous a parfois accusé, selon vous ?

L.G. : Il faut distinguer la grossièreté, car oui, j’aime l’argot, j’ai été élevé avec San Antonio et c’est un plaisir assez enfantin que de dire des gros mots, et la vulgarité. A mes yeux, les bimbos sans neurone qu’on sacralise et certains animateurs télé incarnent la vulgarité. Comme tous ces gens qui manquent de culture et de politesse, qui exhibent leur vie sans intérêt sur les réseaux sociaux, qui photographient ou consultent leurs mails sur leur smartphone durant un spectacle…

Gala : Ce big band de vingt-sept musiciens, dont Anne Gravoin, épouse de notre Premier ministre, qui vous accompagne sur scène, c’était un rêve de gosse ?

L.G. : Oui. Comme l’a dit Guy Marchand, c’est le plus beau des décors. Ce sont tous des pointures, avec eux, la musique part comme ça, spontanément ! Il n’a pas été facile d’habituer le public à un orchestre, mais je n’ai fait que poursuivre une tradition du music-hall. Ces musiciens m’aident à mieux incarner certains chanteurs, ils rythment également le spectacle. La musique, j’en écoute aussi beaucoup chez moi, me met immédiatement de bonne humeur. Je n’ai malheureusement que mes cordes vocales pour instrument, j’aurais aimé en maîtriser un vrai, mais je me débrouille déjà tout juste avec une voiture automatique ! C’est vrai que tout cela me renvoie à mes cinq ans, quand je fus poussé pour la première fois sur une scène par mon grand-père, chef de fanfare. Gamin, je chantais tout le temps. C’était naturel pour moi. En Haute-Maurienne, dont mon grand-père était originaire et où je possède aujourd’hui un chalet, on empoigne facilement une guitare, à la fin des repas.

Gala : Vos grands-parents semblent avoir eu beaucoup d’influence sur vous. Vous auriez, dites-vous, appris l’insolence de votre grand-mère…

L.G. : Non, ça, c’est une connerie ! (Rires) Mon insolence, je l’ai pleinement assumée avec Jean-Jacques Peroni, mon complice d’écriture, mais elle était en moi. Dans ma famille, personne n’est baptisé, la parole est plus libre, plus affranchie.

Gala : Quel genre d’enfant étiez-vous ?

L.G. : Plutôt réservé, assis au fond de la classe à raconter des bêtises. Je n’étais pas un enfant à problèmes, mais je n’aimais pas l’école. J’étais curieux mais fainéant, ce que je regrette un peu. Je n’acceptais pas d’être dirigé. Je me suis fait ma propre culture, avec la radio que mon père écoutait et les disques que ma mère se passait. « L’île aux enfants », par exemple et pour preuve que je n’ai sans doute jamais été de mon époque, je trouvais ça gnangnan, mal joué. Je préférais Brassens à Casimir. J’étais gentiment moqueur, j’imitais déjà les chanteurs que je voyais passer dans les émissions de Guy Lux, des hommes politiques comme Giscard d’Estaing, Marchais, Chaban-Delmas, ou encore des animateurs comme Jacques Martin avec qui j’ai travaillé par la suite.

Gala : Suite au déménagement de votre famille, de la Bresse à la Haute-Savoie, vous auriez eu du mal à vous intégrer dans votre nouvelle école. Monter sur scène était pour vous le moyen de vous incarner aux yeux des autres ?

L.G. : Certainement, d’autant plus que je n’ai pas le trac, que j’adore ça. L’enfance est un âge ingrat. En même temps, les autres ne me connaissaient pas, nous n’avions pas d’habitudes ensemble, j’étais le petit nouveau, comme je l’ai été dans le métier par la suite… (Sourire)

Gala : Vous étiez manifestement si réservé que vos parents ne savaient pas à quoi s’attendre quand vous avez présenté votre premier spectacle, à Lyon, en 1989 !

L.G. : Je redoutais qu’ils me dissuadent de faire ce métier, à vrai dire. Quand notre entourage leur disait « qu’est-ce qu’il est drôle votre fils », ils ne pouvaient que répondre « ben oui, peut-être, mais nous, nous n’y avons pas le droit ». Je n’étais pas du genre à animer les fins de banquet. Il y a toujours eu beaucoup de pudeur entre nous. C’est un trait de caractère familial et plus généralement, les Bressans sont comme ça, assez méfiants. On ne se prive pas de compliments, pour autant.

Gala : Vos parents vous aident-ils encore à gérer votre carrière ?

L.G. : Oui, mon père m’aide d’ailleurs beaucoup en ce moment. Nous sommes en pleine restructuration, avec la BD, le vin, la radio, les spectacles… Je ne suis pas doué avec les chiffres. Lui, son métier à la base, c’est la banque. J’aime, par ailleurs, travailler avec des gens de confiance. J’ai horreur de la trahison. Je suis rancunier. Même si, à bien y réfléchir, les gens évincés laissent plus de place pour les belles rencontres.

Gala : Vous avez de nouveau co-écrit un scénario de Lucky Luke (Les Tontons Dalton/Lucky Comics), vous collectionnez les soldats de plomb, vous avez longtemps utilisé votre stylo-plume de collégien et regardé la très nostalgique chaîne Télé Melody, vous restez attaché aux napperons que votre grand-mère tricotait… A croire que vous n’avez pas fait le deuil de votre enfance.

L.G. : Oh si, quand même. Mais c’est drôle car l’autre jour, ma compagne (une jolie blonde, Christelle, qui partage sa vie depuis deux ans, ndlr) m’a dit que je faisais ma tête de gamin et m’a demandé si je regrettais mon enfance. Je dois dire que non. Pourquoi ? Parce qu’il fallait aller à l’école ! (Rires) Je garde de bons souvenirs de cette période, j’étais un gosse heureux, choyé. Mais je suis tout au plus un conservateur. Je n’arrive pas à me séparer des choses. Les napperons de ma grand-mère ont pour moi une valeur, car elle était assez pauvre et son crochet en fer était l’un des rares biens qu’elle n’avait pas perdu dans un incendie domestique.

Gala : David Mignot, votre pianiste, et Franck Perrot, votre ingénieur du son, sont des copains depuis le CM2 et le collège. Vous êtes plus que fidèle, vous êtes un affectif !

L.G. : Absolument, un grand sentimental, tendance mélancolique, même ! La notion de famille est très importante pour moi. En vingt-cinq ans de métier, je me suis fait des amis partout et je continue de faire de belles rencontres. Autant je peux me montrer très timide, autant je suis très curieux, très ouvert aux autres.

Gala : Le succès n’est-il pas une pomme empoisonnée, qui gâche le rapport aux autres ?

L.G. : Je ne l’ai jamais pensé. Il m’a permis, au contraire, de retrouver plein de vieux copains. On m’avait mis en garde, à mes débuts. Mais il me semble qu’il y a autant de jalousies dans le monde de l’entreprise. Maintenant, il est vrai que le succès peut être difficile à vivre pour les proches. Les artistes sont toujours sur les routes, les sollicitations sont nombreuses. Moi-même, j’ai du mal à me poser. Je n’ai pris qu’une année sabbatique dans ma carrière. Pour faire du ski. La montagne, ma famille, mes amis sont mes garde-fous.

Gala : N’avez-vous pas l’impression d’avoir sacrifié de votre privée à votre métier ?

L.G. : Si, peut-être… En même temps, je viens d’une famille de transporteurs. Il y a une sorte d’atavisme. Tout petit déjà, je rêvais en voyant les camions prendre la route…

Gala : Prendre cette année sabbatique, en 2008, était pour vous un besoin vital ?

L.G. : J’avais envie de pouvoir enfin répondre à toutes les invitations qui m’avaient été lancées. De ne plus passer à côté de certaines choses. J’ai repris mes bâtons de ski. Au Canada, au Groenland, en Turquie… Un jour, je suis en fait parti en bateau avec deux amis, présentés par Gérard Depardieu, qui m’ont fait prendre conscience qu’il était temps de lever un peu le pied. Cela m’a fait un bien fou ! Pendant neuf mois, je me suis régénéré. J’aurai sans doute du revenir un peu plus tôt, car les gens du métier ont tendance à vous oublier facilement. Heureusement, RTL m’a rappelé au poste et je me suis cassé un pied, au même moment. J’étais prêt à annuler un Olympia, je n’avais plus envie de vivre le stress de la préparation d’un spectacle. Immobilisé, je n’avais plus d’autre choix que de revenir à l’écriture.

Gala : Seriez-vous capable de prendre une nouvelle année sabbatique ?

L.G. : La tentation est là, oui. Il faudrait au moins que je lève le pied sur les spectacles. Je suis sans cesse sur les routes, en plus d’assurer mes directs à RTL, tous les matins…

Gala : Vous qui détestiez l’école, vous vivez un rythme quasi scolaire !

L.G. : Oui, mais cette fois, je suis mon patron ! (Rires)

Gala : Avez-vous déjà fixé la date de vos adieux au music-hall ?

L.G. : Non. Mais je ne ferai pas ça toute ma vie. A un moment, il me faudra éviter le ridicule. La scène me manquera énormément, mais je saurai me retirer avant d’en avoir marre et de ne plus retrouver le public au rendez-vous.

Gala : Vous êtes propriétaire de vignes, vous produisez du Pouilly-Fuissé, du Moulin-à-Vent et du Côte de Provence. La viticulture, c’est votre plan B ?

L.G. : Je reste un petit producteur, je délègue pas mal, faute de temps. Mais c’est une activité passionnante. Pour moi, avoir son nom sur une bouteille est aussi gratifiant que d’avoir son nom au fronton de l’Olympia. La vigne, comme le music-hall, est une affaire de partage. La viticulture sera peut-être mon plan épargne retraite, je ne sais pas ! (Rires)

Gala : Redoutez-vous ce que vous appelez les « 3 L : lécher, lâcher, lyncher » ?

L.G. : Non (Rires). Mais je sais que cela arrive. Dans tout métier, à vrai dire. Jacques Martin et d’autres encore m’ont prévenu. Il faut s’y préparer, en tendant d’autres cordes à son arc, ce que j’essaie de faire avec la BD, le vin, mais aussi le cinéma auquel je souhaite davantage me consacrer. J’ai vécu de belles expériences, encore cet été, avec Christian Carion. Le problème avec le cinéma, c’est l’attente.

Gala : Vous avez reçu le Molière du meilleur spectacle, en 1997. Jean d’Ormesson et Michel Houellebecq comptent parmi vos admirateurs. Etes-vous sensible aux prix et aux distinctions ?

L.G. : Cela me fait plaisir, comme à tout le monde. Mais ce n’est pas un moteur. Je les prends comme de belles surprises. Je n’aime pas la compétition et je ne cours pas après les récompenses. Et puis, la reconnaissance, elle consacre un travail d’équipe, rien ne se fait tout seul.

Gala : Vous êtes un très bon acteur, vous avez été reformé au service militaire en jouant les dépressifs suicidaires…

L.G. : Non, j’ai été réformé parce qu’on ne m’a pas cru et parce que j’ai fini par être franc ! (Rires) Je préparais mon arrivée à Paris et je n’avais pas envie de perdre une année. J’ai passé un an sur la scène du Don Camillo, à la place… (Sourire)

Gala : Vous avez néanmoins révélé vos talents d’acteur au grand public dans L’escalier de fer, adaptation d’un Simenon diffusée sur France 2. Vous avez même failli jouer dans Le garçu de Maurice Pialat…

L.G. : Maurice était un ami, mais ça ne s’est pas fait pour des raisons de planning. Lautner et Verneuil, que j’admirais, m’ont proposé, eux-aussi, des rôles que je n’ai pas pu tenir. C’est une autre raison pour laquelle je souhaite partir moins longtemps et moins souvent en tournée. Je ne me défends plus d’être acteur. Je me suis rendu compte, après L’escalier de fer, que le cinéma était envisageable avec des gens de bonne compagnie. Jusqu’alors, j’avais toujours travaillé avec la même équipe, j’étais dans le confort de certaines habitudes. Mais on peut aussi rencontrer des gens formidables sur un tournage. Ce fut le cas cet été, sur le tournage du film. En mai fais ce qu’il te plait de Christian Carion, que je connaissais déjà, mais dont j’ai pu mesurer l’incroyable bienveillance. Je ne m’imaginais pas capable d’incarner des personnes qui n’existent pas, je ne me sentais pas légitime, et puis, j’ai fini par oser, j’ai appris à composer et j’ai pris un véritable plaisir à échanger des répliques avec des partenaires, moi qui suis toujours seul sur scène.

Gala : Vous êtes un fan d’opéra. Vous dissimulez en fait une vraie nature romantique.

L.G. : Oui, même si dans les opéras, ce qu’ils en mettent du temps, les amoureux, avant de conclure et de mourir ! (Rires) J’aime ces grands sentiments qui sont donnés en spectacle, c’est vrai. Ceux que l’on surjoue dans la vie, non, pas du tout.

Gala : Existe-t-il un couple mythique à vos yeux ?

L.G. : J’ai une certaine affection pour Humphrey Bogart et Lauren Bacall, que je viens de revoir dans un film. Plus contemporains, Brad Pitt et Angelina Jolie ne sont pas mal non plus. Il y en a tant, à vrai dire…

Gala : Vous avez un jour déclaré : « Je suis un vieux garçon par plein d’aspects ». C’est-à-dire : prisonnier de ses habitudes ? Irrémédiablement solitaire ?

L.G. : Non, libre. Mais quand j’ai dit cette phrase, je devais effectivement être dans une période « vieux garçon ». Je me suis un peu soigné depuis, ou plutôt, on m’a un peu soigné… (Sourire) Le terme ne me déplaît pas. J’ai un oncle qui est vieux garçon et qui le vit très bien. Moi-même, je le reste sans doute encore un peu, en étant conservateur. Par contre, je n’ai pas une vie suffisamment sédentaire pour entretenir des habitudes ou des rites.

Gala : Votre tournée s’arrête le 27 décembre prochain, deux jours avant votre anniversaire que vous avez souvent célébré sur scène. Cette année, vous aviez envie de le fêter différemment ?

L.G. : Non, pas vraiment, le Palais des Sports était libre jusqu’à cette date du 27 et nous pensions qu’après le Châtelet, il était bien de finir dans cette salle. Je n’ai encore rien prévu pour mon anniversaire. Non pas que je m’en foute. La vie m’en a déjà beaucoup fait, mais j’aime bien les cadeaux, moi ! (Sourire)

Gala : « Mes rêves, je les ai tous réalisés », avez-vous assuré. Vraiment ?

L.G. : Je rêvais effectivement de la vie que je mène. Mais j’ai encore envie d’être surpris. En tournant davantage pour le cinéma. Ou en reprenant une année sabbatique. Je suis comme la pâte à crêpes : il faut me laisser reposer un peu pour que je sois meilleur ! (Rires)

Categories:

Tags:

Comments are closed